Les anarchistes et la révolution sociale, la période de transition
lundi 7 mars 2011, par , ,
Notes critiques sur le texte d’André Prudhommeaux
Écrit sous la pression de la crise mondiale 1929, le texte nous donne une vision brève, claire et pratique de positions possibles face à la réalité.
Frappante est la manque d’attention, de mention des forces spontanées du peuple, les assemblées aux décisions prises à la base (à condition que n’interviennent pas beaucoup les étrangers au quartier et à la région, ainsi que les arrivistes en tout genre) et les mandataires désignés pour des tâches limitées, rotatives, contrôlées et révocables par l’assemblée. Cette vielle expérience paysanne russe et cosaque (1) réapparut avec les soviets.
Comme leur ennemis bolcheviques, les conseillistes et les libertaires continuaient (continuent, en grande partie, à mon avis) ancrés dans le rôle de guides, très difficile à séparer des fonctionnaires révolutionnaires presque inamovible.
Non moins choquante est l’ignorance du message de Bakounine sur la période de transition, qui continue aujourd’hui dans de nombreuses têtes de militants libertaires (ce qui les éloigne en général de bon nombre de pratiques populaires).
C’est pourquoi il faut fixer des buts prioritaires compréhensibles (2) et dénoncer ceux qui se bornent à repeindre la façade du système actuel dans l’attente d’une évolution ou involution interne (supposément entraîné » par des réformes qui la plupart du temps demeurent lettre morte).
Les explosions sociales récentes de décembre 2001 en Argentine, de janvier 2011 en Tunisie et de février 2011 en Égypte, la guerre civile de fait en Lybie, montrent que la démocratie cloacale du néo libéralisme est aussi pourrie que les dictatures démocratiques colonies occidentales et que la démocratie socialiste du parti unique et de son guide, de son leader « máximo ».
Mais le texte présente une position qui demeure, malheureusement inexistante ou quasi embryonnaire, à l’heure actuelle en Espagne et en France, mais sans aucune étiquette idéologique et assez active, en Argentine.
I - L’anarchisme en action se manifeste actuellement dans les éléments les plus avancés et les plus désintéressés de la lutte de classes, qui soutiennent sur tous les terrains, vis-à-vis de tous les dominateurs du mouvement ouvrier, le principe de l’action directe et de l’autonomie révolutionnaire des individus et des masses.
II. - Il ne se propose pas de mener une concurrence destructive aux organisations ouvrières existantes en leur opposant des organisations permanentes et exclusives dominées par les anarchistes, mais il préconise l’affranchissement des travailleurs par eux-mêmes dans des organes transitoires spontanément créés en marge des organisations bureaucratiques, et susceptibles de grouper des collectivités travailleuses toutes entières sur un programme pratique immédiat de lutte directe.
III. - Il tend à porter au maximum, par la propagande et par l’exemple, l’initiative et l’audace des collectivités travailleuses ainsi formées. En étendant leur champ d’action à toutes les fonctions sociales, celles-ci déracineront les organismes parlementaires et bureaucratiques de l’ancienne société et substitueront à la domination bourgeoise l’auto-direction des masses travailleuses dans la production et dans la révolution.
Ceux qui croient que les masses sont éternellement manipulables et doivent êtres formées, de Freud aux autoritaires de tout acabit, tous se retrouvent chétifs et nus face aux Tunisiens et aux Égyptiens de 2011. C’est à nous, ailleurs, de reprendre leur prise de conscience.
Frank, 07.03.2011.
1) La culture cosaque ne put cependant éviter que bon nombre de ses membres deviennent des gendarmes, des assassins à la solde du tsarisme.
2) Un exemple Propositions collectives minimum
1-Refuser dès maintenant une société où il existe des êtres humains mourant tous les jours de faim ou par manque de médicaments basiques.
2-Lutter pour un autre monde avec construction et entretien des infrastructures sociales élémentaires (tout-à-l’égout, eau potable, électricité, etc.), une scolarisation complète de toute la jeunesse pour acquérir des notions de base et surtout d’analyse et de critique sociale, un modèle sanitaire accessible à tous et à toutes.
3-Les modes de militance et d’intervention sociale sont l’action directe et l’assemblée, avec pouvoir révocatoire ; et le rapport entre collectifs ayant la liberté de se fédérer ou pas.
4-Face à la violence des forces répressives, chaque collectif choisit sa façon d’agir, en cherchant, dans la mesure du possible, l’application immédiate et sans limites d’un maximum de mesures sociales.
5-Chaque personne et chaque collectif demeure libre de prêcher ses croyances, tant qu’elles ne vont pas à l’encontre de l’harmonie et de la paix sociale (comme la libération des animaux en laboratoires scientifiques, toute religion monothéiste ou polythéiste, athéisme, etc.).
Si cette ébauche intéresse, les gens lui donneront un nom dans leur langue (Resistance et solidarité, Révolution sociale, me semblerait bien). L’important est de relever la tête.
L’anarchisme au XXI siècle, p. 7, (http://www.fondation-besnard.org/article.php3?id_article=965&var_recherche=+XXI+siecle).
Les cas incompréhensibles considérées comme étant urgents (du moins pour moi) sont -pour prendre les principaux- défendre et sauver les animaux de laboratoires médicaux, prêcher la liberté sexuelle sans évoquer l’éthique, les limites et les sanctions possibles contre la pédophile et les viols, pratiquer le végétarianisme comme une panacée.
Les anarchistes et la révolution sociale, la période de transition
Prudhommeaux (André) Correspondance Internationale Ouvrière n°1 (25/09/1932)
La question de la période de transition inquiète à juste titre tous les anarchistes qui demandent à la révolution sociale la réalisation de leur idéal et se proposent d’y jouer un rôle agissant. À cette question, qui n’est autre que celle des moyens de réaliser l’anarchie, il a été répondu de diverses manières.
1° - Les uns se refusent à toute transaction entre la réalité présente et leur rêve suprême de liberté et d’harmonie intégrale. Ils sont amenés par là-même à admettre qu’une très longue période historique précédera l’accomplissement de leurs vœux ils conçoivent cette période comme un prolongement de l’ère capitaliste-démocratique. En un mot, la période de transition, du moment qu’ils se refusent à la considérer comme une étape violente et révolutionnaire, prend chez eux la forme d’un développement pacifique et libéral presque indéfini de la société actuelle. Du même coup, le programme d’action immédiate des anarchistes se trouve limité à des tâches de propagande, d’édification syndicale et coopérative, d’action culturelle, etc. C’est ce qu’on pourrait appeler l’anarchisme idéalo-réformiste, tendance qui prédomine d’une manière presque absolue dans les pays les plus stables socialement - à commencer par la France.
2° - Cependant d’aucuns se sont rendu compte que la période libérale, prospère et démocratique, du capitalisme est passée ; que la crise économique, la guerre, le fascisme, la répression sociale sous toutes ses formes sont suspendues sur le monde entier ; que la lutte est inévitable à brève échéance entre les tendances destructives de la domination bourgeoise et la volonté de vie et de progrès des masses travailleuses ; que cette lutte - qu’on le veuille ou non - prend la forme d’une lutte pour le pouvoir. L’expérience des périodes révolutionnaires qu’ils ont pu traverser eux-mêmes, le plus souvent comme jouets d’événements qu’une théorie traditionnellement interprétée ne leur avait pas permis de prévoir ou de comprendre, les a amenés à une révision systématique de cette théorie. Ils ont été contraints d’accepter l’idée d’une période de transition catastrophique, pendant laquelle les anarchistes lutteront révolutionnairement pour un certain programme minimum. Mais sur ce programme minimum non plus que sur les méthodes à employer, l’accord ne s’est pas encore fait.
1. Parfois le programme minimum est conçu comme un programme de luttes économiques (journées de six heures, salaire unique, contrôle sur la production) dirigées par des « syndicats révolutionnaires » et aboutissant à la mainmise de ces syndicats sur l’économie. C’est l’anarchisme syndicaliste de Besnard et de ses amis. Il exerce une notable influence sur l’Association Internationale des Travailleurs, et son expression la plus extrême se reflète dans la formule purement syndicaliste d’Alfonso Miguel : « Tout le pouvoir aux Syndicats ».
2. D’autres éléments conçoivent un programme de nature surtout politique, impliquant la formation d’un véritable parti anarchiste. Celui-ci aurait à lutter avec les autres partis pour s’assurer l’hégémonie dans la révolution, et s’il le faut passerait avec eux des compromis transitoires pour assurer le succès des revendications communes. Tels sont les « Plateformistes » russes et les italo-américains du groupe « Eresia ». La conséquence logique de cette attitude apparaît dans le semi-bolchévisme d’Archinoff et dans le bolchévisme à cent-dix pour cent des Ernest Girault et des Ghislain. Aussi appellerons-nous cette tendance l’anarchisme bolchévisant.
3° - Enfin il existe un troisième grand courant qui se base sur les considérations suivantes :
1. L’anarcho-réformisme nie la crise et les perspectives révolutionnaires. Il tend à conserver le capitalisme démocratique et à marcher parallèlement à lui, il se confond alors avec le libéralisme bourgeois. Il entraîne parfois sur ce terrain même l’aile gauche anarcho-syndicaliste, qui se déclare purement éducationniste et économique et par suite indifférente en matière de lutte politique. - Comme si toute lutte directe économique et toute propagande subversive ne revêtait pas un caractère concrètement, socialement révolutionnaire dans tous les domaines !
2. L’anarcho-syndicalisme prétend avoir un caractère « économique pur », et en ce sens, il est enclin à laisser subsister sans combat l’appareil politique réactionnaire de la bourgeoisie. Mais, en admettant que celui-ci s’écroule brusquement sans avoir été débusqué de ses positions par l’organisation intégrale des masses. il arriverait ceci, que le pouvoir politique tomberait tout simplement entre les mains des organismes « purement économiques » du syndicalisme supposé total, monolithique et à idéologie anarchiste. Mais cette hypothèse est d’ailleurs purement gratuite : un tel syndicalisme n’existe et n’a existé nulle part, et cela suffirait à prouver que l’on ne fait pas la révolution avec des organes d’adaptation aux conditions internes du capitalisme démocratique, à base corporative ou professionnelle (1).
3. L’anarcho-bolchévisme se constitue lui aussi sur des hases monolithiques et autoritaires, mais avec le dessein avoué de se mêler au jeu des partis, et d’y triompher par une politique de chef (compromis, ruptures, etc...). Or cette politique est propre à étouffer ou à « stabiliser » la révolution, mais nullement à la pousser en avant. Comme l’anarcho-syndicalisme et plus encore que lui, l’anarcho-bolchévisme est une utopie autoritaire.
Ainsi, bien qu’animés des meilleures intentions, les anarchistes des tendances ci-dessus auraient échoué dans la recherche d’un programme minimum réellement anarchiste et révolutionnaire.
Quant aux éléments qu’on pourrait appeler les anarchistes-réalistes ou anarchistes d’action directe, ils formulent à peu près les propositions générales suivantes :
I. - L’anarchisme en action se manifeste actuellement dans les éléments les plus avancés et les plus désintéressés de la lutte de classes, qui soutiennent sur tous les terrains, vis-à-vis de tous les dominateurs du mouvement ouvrier, le principe de l’action directe et de l’autonomie révolutionnaire des individus et des masses.
II. - Il ne se propose pas de mener une concurrence destructive aux organisations ouvrières existantes en leur opposant des organisations permanentes et exclusives dominées par les anarchistes, mais il préconise l’affranchissement des travailleurs par eux-mêmes dans des organes transitoires spontanément créés en marge des organisations bureaucratiques, et susceptibles de grouper des collectivités travailleuses toutes entières sur un programme pratique immédiat de lutte directe.
III. - Il tend à porter au maximum, par la propagande et par l’exemple, l’initiative et l’audace des collectivités travailleuses ainsi formées. En étendant leur champ d’action à toutes les fonctions sociales, celles-ci déracineront les organismes parlementaires et bureaucratiques de l’ancienne société et substitueront à la domination bourgeoise l’auto-direction des masses travailleuses dans la production et dans la révolution.
[Remarque : Les divers éléments (anglais, allemands, belges, hollandais, français, italiens) qui se rattachent à ce programme minimum de « l’anarchisme en action » ne sont pas entièrement d’accord sur la valeur relative de l’action de groupe et de l’action syndicale, des comités d’action et du système des conseils. Mais ils trouvent un terrain commun dans l’affirmation suivante, que, pour notre part, nous considérons comme capitale.]
IV. - La période de transition qui nous sépare du régime de pleine liberté et de pacifique harmonie qu’il nous est permis d’entrevoir est une période de lutte de classes et de révolution permanente ; une insurrection continue des masses contre l’étreinte mortelle du capitalisme, de l’étatisme, du régime des castes. C’est la période décisive de la lutte entre l’humanité travailleuse et le système séculaire des privilèges, un accouchement laborieux et douloureux, hors de la misère et du chaos social, par l’extermination du capitalisme.
Je crois n’avoir pas trahi la pensée de camarades tels que Mühsam (Allemagne), Constandze (Hollande), Aldred (Angleterre), Berneri (Italie), Michaud (France) et Mahni (Belgique) en essayant de donner une expression commune à leurs aspirations, quelles que soient les différences qui puissent, par ailleurs, subsister entre eux. Et j’ajouterai immédiatement que sur le terrain que j’ai essayé ci-dessus de définir je suis prêt à me placer avec eux, parce que je crois que là ne sont pas défendus les intérêts d’une secte, mais les intérêts les plus généraux des classes travailleuses et de l’humanité. En réalité, ce terrain n’est pas celui d’une doctrine, mais d’intérêts révolutionnaires de la masse. C’est pourquoi, m’adressant aux lecteurs de ce journal, syndicalistes, communistes, socialistes, anarchistes de toutes tendances, je les invite à discuter fraternellement la fameuse question de la période de transition qu’on a présentée comme un obstacle insurmontable à l’union des révolutionnaires prolétariens des diverses écoles, mais qui pourtant ne pourra être résolue dans le fait que par l’union pratique de tous dans la lutte finale contre le capitalisme.
A.P. (France) [http://www.la-presse-anarchiste.net/spip.php?article2608].
1) Bel exemple de cécité et d’incapacité d’envisager ce qui eut lieu en Espagne en juillet 1936, soit moins de 4 ans après cet article. André Prudhommeau et sa compagne ne resteront pas dans cette cécité et s’efforcèrent avec courage d’aider très tôt sur place les camarades de la CNT. Devant l’impossibilité de distance critique, ils préfèrent continuer leur aide depuis la France.
Documents joints
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