Les minorités révolutionnaires en 1967, leur rôle
mardi 19 juin 2012, par
Ce texte précède “La théorie des chapelles” (http://www.fondation-besnard.org/article.php3?id_article=557) et se rattache à la période de 1967-1970, en France.
En fait, il m’intéresse parce qu’il laisse côté le point de vue de la plateforme d’Archinov et de Makhno, autrement dit un parti guide (dans le fond, pas dans la forme), à l’allure prétendument anarchiste.
À mon avis, la ligne plateformiste peut convenir dans une période de désorientation des salariés (Mali, Nigéria), pour maintenir une lueur d’analyse. En revanche elle est absurde lorsque la conscience de classe s’étend (Maghreb, Égypte) ou quand elle existe déjà (Argentine). En effet, les militants demeurent isolés des grands groupes sociaux et ensuite ils essaient de les pénétrer mais comme ils s’accrochent à leur Plateforme, ils demeurent en dehors.
Je peux me tromper, je ne propose pas de tutelles, et de toute façon ce texte, je le pense, a des propositions qui sont encore d’actualité.
Vive ceux qui combattent
Frank, 18.06.12
Les minorités révolutionnaires en 1967, leur rôle
1) Toutes les organisations ou groupes dit révolutionnaires (du P.C. au plus petit groupe trotskiste) trouvent leur origine au sein du mouvement d’ensemble de la classe ouvrière contre la bourgeoisie (I Internationale, révolution russe, etc.). Ils en sont l’expression.
Or maintenant ce mouvement d’ensemble soit n’existe plus, soit a déplacé son centre de gravité (il s’agirait de savoir où il est), si bien que les groupes ou organisations sont suspendus dans le vide et ne correspondent plus à un mouvement réel (seul le PC, peut-être, colle à un mouvement réel mais réformiste). C’est pour cela que ces groupes ne peuvent plus n’avoir qu’un seul but : leur survie en tant que telle. L’organisation est devenue un but en soi.
2) Historiquement les obstacles à l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes ont été : -le manque de conscience de classe ; -l’absence de moyens techniques rendant l’émancipation possible ; -la présence du capitalisme (de la classe dominante). Ces obstacles sont très liés, ce ne sont que des fronts de lutte.
3) Le but reste toujours la gestion de tous les domaines de la vie, partout.
Les minorités ne peuvent donc à aucun moment se substituer à qui se soit pour la gestion d’un ou plusieurs domaines de cette vie sociale. Au contraire elle (la minorité) luttera contre tout groupe qui tentera de gérer quoi que ce soit à lui tout seul en excluant une partie des gens intéressés à ce domaine, même et surtout si le groupe prétend gérer dans l’intérêt de tous.
Ceci concerne surtout dans notre période, en France, la gestion de la lutte politique et économique des masses.
En ce sens, elle n’est pas avant-garde. Elle l’est dans la mesure où elle est consciente de la nécessité d’une révolution sociale pour sa propre libération et consciente c’un certain nombre de conditions à réaliser pour et dans cette révolution (Ex : l’action directe des masses contre le Capital).
4) Un groupe, une organisation anarchiste, ne représente donc que lui-même. Ce n’est qu’une fraction des classes exploitées, organisées pours lutter contre la bourgeoisie.
5) La propagande se vide alors de son sens traditionnel. En effet un individu, un groupe d’individus ne peuvent acquérir une certaine conscience, que dans certaines circonstances bien particulières. Les propagandes par la parole, écrite ou par le fait, ne sont efficaces que dans ces circonstances particulière : c’est-à-dire que lorsqu’elles expriment quelque chose de ressenti par le récepteur et non encore formulé. (Ex : c’est lors d’une grève où la CGT ordonne la reprise du travail, alors que rien n’a été obtenu, qu’il est utile de dénoncer les bureaucraties syndicales). La propagande est accoucheuse d’une idée en gestation.
6) C’est aux structures qui empêchent la prise de consciente qu’il faut nous attaquer. Notre rôle est donc essentiellement destructeur, ne pouvant gérer pour les autres. Notre arme principale est alors l’action directe qui consiste à s’emparer ou à détruire une partie du potentiel offensif de la classe dominante contre les classes exploitées, modifiant par là même légèrement, le rapport de force. La propagande peut alors servir pour proposer des solutions rendues possibles par le changement des conditions dus à l’action directe.
7) L’information sera un point important de nos [manquent des mots] . Information sur tous les domaines (on en a déjà parlé au CLJA (A), ou à Bordeaux (B).
Elle établit des rapports moins hiérarchisés entre le groupe et la masse que le lancement de mots d’ordre. La communication a alors lieu dans les deux sens étant donné que l’information ne se conçoit que comme un échange -ICO- (C) Elle est l’un des palliatifs à l’obstacle dû à l’’absence de moyens technique â notre disposition pour rendre l’émancipation possible.
8) Les rapports hiérarchisés doivent tendre à disparaitre dans le groupe ou l’organisation. Et ce, non par la bonne volonté, mais par un changement des conditions internes au groupe : -même niveau de tous les membres quant à l’information, à la compréhension et à la participation. Les moyens doivent être les mêmes (ne pas négliger des aspects tels que finance, temps libre, culture, etc.)
9) Il ne faut pas crain.ire les scissions, ou les séparations. Elles ne signifient pas un affaiblissement de la lutte. Elles ont lieu quand il y a divergence au niveau idéologique, mais [c’est] un moment dans son évolution.
Elles peuvent avoir lieu quand il y a des divergences idéologiques ou stratégiques ou lorsque la hiérarchisation s’accentue au lieu de diminuer. Ne jamais oublier que la victoire ne passe pas par le renforcement de l’organisation, mais par la constitution par le prolétariat de ses propres et multiples organes de contestation, de lutte et de gestion.
Pour l’instant, je pense qu’il s’agit de constituer de petits noyaux, clairement définis, idéologiquement et stratégiquement (cf. différence entre tactique et stratégie) qui ont des contacts d’autant plus étroits dans1’action avec d’autres noyaux avec lesquels ils sont en accord. Il ne s’agit pas encore de former des fédérations ou des unions de groupes, et ce pendant longtemps
A) CLJA Centre de liaison des jeunes anarchistes, qui entre 1963 et 1967 était un point de rencontre entre des militants non membres de la fédération anarchiste, alors aux mains de "vieux" bureaucrates, et de certains "dissidents" de la fédération.
B) Bordeaux, lors du congrès de la fédération anarchiste à Bordeaux en 1967 les "vieux" gardèrent le pouvoir en expulsant de nombreux groupes contestataires, qui restèrent en contact
C) ICO Information correspondance ouvrière, groupe d’abord informel qui finit par réunir des militants en marge, et des conseillistes, et des anarchistes et des situationnistes.
Jean-Pierre Duteuil]
Groupe Noir et Rouge, groupe de Nanterre, texte de discussion, 1967.