La NUEVE parle

lundi 25 août 2014, par Association 24 août 1944

En août 2012, durant l’évocation de la libération de Paris, plusieurs militants désireux d’évoquer la présence libertaire espagnole dans la libération de Paris ont été détenus durant quelques heures.

L’association 24 VIII 1944 a décidé depuis septembre 2013 de défendre la Mémoire historique de la première unité de la 2 Division blindée du général Leclerc, envoyée par celui-ci, arrivée à Paris, le soir du 24 août 1944. Elle était sous le commandement du capitaine Dronne,

Pour nous il s’agissait de rappeler et de défendre la présence écrasante d’antifascistes espagnols dans cette unité, dont la majorité était anarchosyndicaliste de la Confederación Nacional del Trabajo –CNT-.

Une présence rigoureusement passée sous silence par les autorités françaises pendant le 60 ème anniversaire, et précédement. Les organisations communistes hispano françaises liées à la Mémoire historique étaient tout aussi muettes, vu l’absence de leur mainmise sur ce fait. Le marxisme léninisme et ses techniques manipulatoires est encore bien vivant !

Bien entendu, il y avait également des républicains, des socialistes et quelques communistes, tous unis et prenant souvent des initiatives militaires décidées à la base.

De plus, il semble qu’il y avait des infirmières espagnoles et françaises, sans doute dans l’ambulance « Lt Colonel Putz n°97901 ».

Pour le 70 ème anniversaire de la libération de Paris, nous avons déposé une demande de manifestation le 24 août 2014 dès janvier 2014 et secoué le ministère de la Défense, qui a réagi assez vite. De là, on a fait bouger la Préfecture de police et la Mairie de Paris, celle du XIII et du IV arrondissement qui ont pris le train en marche, à partir de la fin juin.

Concrètement, nous avons organisé trois événements :

- Vendredi 22 août : un colloque à la Bourse du travail à Paris avec plus d’une centaine de participants.

- Samedi 23 août : une pièce de théâtre à partir de témoignages de membres de la NUEVE (jouée par des membres de l’association 24 août 1944 et d’un ami Argentin et d’un comédien) et en hommage à tous les membres de cette unité. Une extraordinaire stimulation et initiative de Dante Armand Gatti, Hélène Châtelain, Jean-Marc Luneau et Mathieu Albert. Il y eut plus de 200 spectateurs.

Dimanche 24 août : une manifestation sur le l’itinéraire parcouru par la NUEVE, avec environ 1.000 personnes, dont une forte présence d’Espagnols venus spécialement, de libertaires et beaucoup de partisans d’une III République en Espagne.

Le choix des extraits qui suivent est de Serge Utge-Royo et reflète intégralement l’engagement des comédiens pour donner vie aux personnages réel qu’ils interprétés.

Frank, 25.08.2014.

– Quand la République est arrivée, j’avais 14 ans. La majorité des gens du peuple l’a reçue avec une grande joie. Il y avait beaucoup d’émotion dans toute l’Espagne. Dans le village, on a ouvert tout de suite plusieurs écoles très modernes, où on enseignait même l’espéranto, la langue internationale. (GERMÁN ARRÚE.)

– On a vite voté des lois qui n’existaient nulle part en Europe : la réforme agraire, le droit de vote aux femmes, une loi sur l’avortement, une loi sur l’enseignement dans les collèges... Une semaine de vacances pour les mineurs, payée par les compagnies minières. On a fait ce que j’appelle “une révolution sociale”. (Manuel FERNÁNDEZ.)

– Quand la guerre civile a éclaté, je me suis engagé dans l’armée républicaine, dans la colonne Durruti.
J’avais alors 20 ans. J’ai combattu jusqu’au dernier instant, jusqu’à ce que commence la retraite... (FERMÍN PUJOL.)

– Si les Allemands ne les avaient pas aidés, Franco et ses comparses n’auraient pas gagné la guerre. (G. ARRÚE.)

– J’ai passé la frontière le 2 février 1939. L’aviation allemande et l’aviation franquiste nous ont bombardés sur le chemin, jusqu’au dernier moment. On est arrivés en France : plus d’un demi-million de personnes.
On nous a laissés sur les plages comme des animaux… La seule chose qu’on pouvait faire était de se serrer les uns contre les autres pour se protéger du vent et du froid. (G. ARRÚE.)

– On m’a emmené au camp de Saint Cyprien. Les quatre premières semaines ont été un véritable calvaire. On allait pieds nus, on buvait de l’eau sale et savonneuse qui venait de l’endroit même où on se lavait. L’administration française nous donnait très peu de nourriture : un pain pour dix personnes et, de temps en temps, des patates avec un peu de viande et des os bouillis.
La nuit, on creusait un trou dans le sable pour se coucher, et on se recouvrait d’une couverture. (Rafael GÓMEZ.)

– Les gendarmes et les soldats sénégalais nous traitaient très mal et frappaient facilement. (LUIS ROYO.)

– Je me suis engagé dans la Légion, et on m’a envoyé en Afrique du Nord. J’y suis resté deux ans, jusqu’à ce que je déserte pour rejoindre Leclerc.
Avec l’armée de Leclerc, de Gaulle voulait former la 2e armée française, mais les Américains l’ont obligé à se débarrasser des Noirs. Cette 2e armée s’est transformée en 2e division blindée. La Nueve était la compagnie espagnole du 3e bataillon. Elle est devenue une compagnie de choc. (FAUSTINO SOLANA.)

– On est partis en Tunisie combattre l’Afrikakorps de Rommel. Dans la Nueve, tout était espagnol : les soldats, l’encadrement, les ordres et les conversations. (D. HER-NÁNDEZ.)

– Les officiers français disaient qu’on était des sauvages. C’est vrai que, quand un officier ne nous plaisait pas, on lui rendait la vie impossible. On n’acceptait pas ses ordres. Mais Leclerc, le capitaine Dronne et, surtout, le colonel Putz ont gagné notre sympathie. Ils nous comprenaient et assuraient qu’ils nous aideraient à lutter contre Franco. (MANUEL LOZANO)

– Quand le général Leclerc nous a annoncé qu’on allait embarquer pour combattre les Allemands, il y a eu une explosion de joie. (LUIS ROYO.)

– J’ai embarqué à Mers-el-Kébir le 20 mai 1944. Sur le côté gauche de nos blindés, on portait, bien visible, le drapeau républicain espagnol, et sur le côté droit, le drapeau de la France libre. (DANIEL HERNÁNDEZ.)

– Quand toute la division est enfin arrivée en Angleterre, on nous a réunis à Dalton Hall et remis les drapeaux à tous les régiments. C’était un jour émouvant, on savait tous que l’heure du combat était proche. (LUIS ROYO.)

– On était joyeux de débarquer en Normandie ; on allait à la guerre contre les nazis comme à une fête ! On y allait en chantant, tout en sachant que ce serait dur et que ça allait coûter beaucoup de vies. La plupart des villages de la côte étaient détruits. Tout était détruit, même les cimetières. (GERMÁN ARRÚE.)

– On a affronté les Allemands toujours en première ligne, dans toute la Normandie, à Alençon, Écouché, jusqu’à Paris ; et ensuite en Alsace jusqu’à Berchtesgaden. Ça a été une guerre dure, on a perdu beaucoup de compagnons, mais on ne nous a jamais fait reculer… (MANUEL LOZANO)

– Pour beaucoup d’entre nous, la libération de la France était une étape. La vérité est que je n’ai jamais pensé que je luttais pour libérer la France, mais que je luttais pour la liberté. Pour nous, cette lutte signifiait la continuation de la guerre civile. (LUIS ROYO.)

– Contre les Allemands, on avait la haine de ce qu’ils nous avaient fait subir en Espagne. On a toujours été de la chair à canon, un bataillon de choc. On était toujours en première ligne de feu, tâchant de ne pas reculer, de nous cramponner au maximum. C’était une question d’honneur. (Rafael GÓMEZ.)

– Quand le général Leclerc a obtenu l’ordre d’avancer vers Paris, on est sortis immédiatement. On a parcouru les 270 kilomètres, avec le matériel lourd, en deux jours à peine. On a rencontré quelques forces allemandes qu’on a détruites facilement. (VICTOR LANTES.)

– Quand on est arrivés à Paris, le 24 août, j’étais sur le Guadalajara, la première voiture blindée à rejoindre l’Hôtel-de-Ville. Il y avait trois half-tracks espagnols ensemble. Au bout d’un moment, la place était pleine de gens. Ils arrivaient de partout et l’enthousiasme était incroyable ! Il y avait des milliers de personnes. Elles n’arrêtaient pas de nous embrasser. Moi, j’étais euphorique, comme ivre sans avoir bu, quelque chose d’inoubliable. (DANIEL HERNÁNDEZ.)

– On a atteint rapidement l’Hôtel-de-Ville et on s’est installés autour, face aux quais de la Seine et à tous les endroits stratégiques. Tout de suite, les gars de la Résistance sont arrivés ; ils montaient dans nos voitures et nous dirigeaient là où se trouvaient les Allemands.
Le jour suivant, tôt, on a nettoyé toute la zone, libéré la rue des Archives, où se trouvaient encore des forces allemandes, et on s’est dirigés ensuite vers la place de la République où se trouvait une caserne encore occupée par une grande quantité d’Allemands. Après des affrontements durs, on est repartis avec plus de 300 prisonniers. Là, on a dû être très fermes, parce que beaucoup de civils qui les insultaient voulaient aussi leur prendre leurs bottes et leurs vêtements. On ne les a pas laissé faire : ça ne nous plaisait pas, ça n’était pas digne. (G. ARRÚE.)

– Pendant le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées, la Nueve escortait le général de Gaulle. On nous avait mis là parce que je crois qu’ils avaient plus confiance en nous, comme troupe de choc, qu’en d’autres...
Il fallait voir comme les gens criaient et applaudissaient ! Au début du défilé, on a vu une grande banderole républicaine espagnole, longue de 20 ou 30 mètres, portée par un important groupe d’Espagnols qui n’arrêtaient pas de nous acclamer. Peu après, quelqu’un leur a fait retirer cette banderole. On était tous convaincus d’aller bientôt libérer l’Espagne…(G. ARRÚE.)

– Le pire souvenir de Paris, dans ces moments-là, a été de voir des femmes qu’on poussait dans la rue, qui avaient été rasées et qu’on bousculait, en leur arrachant les vêtements, laissant leur poitrine à l’air. Il y avait des femmes jeunes, mais aussi des plus âgées. C’était triste à voir. On s’est souvent bagarrés à cause de ça. Qu’on les maltraite, qu’on les déshabille, qu’on leur fasse boire de l’huile de ricin et qu’on leur accroche autour du cou des écriteaux : non ! On a crié beaucoup et il a fallu faire preuve de fermeté. Ces choses ne nous plaisaient pas. Ça nous paraissait une lâcheté. (L. ROYO.)

– Après le défilé de la victoire, on nous a mis au repos dans le bois de Boulogne, sous des petites tentes de campagne américaines. (D. HERNÁNDEZ.)

– Beaucoup de gens venaient nous voir, surtout beaucoup de filles. Elles nous considéraient toutes comme des héros. Presque tout le monde nous apportait des cadeaux : une bouteille, des fruits, des gâteaux, et des choses comme ça. Beaucoup de réfugiés espagnols venaient aussi. C’étaient des jours inoubliables. Après avoir libéré Paris, on pensait partir libérer l’Espagne. (R. GÓMEZ.)

– Quelques jours plus tard, on se remettait en marche. La lutte a été très dure. En Alsace, on se battait par vingt degrés en dessous de zéro. Lors d’une attaque allemande, où arrivaient des tanks immenses, les Américains et les Anglais ont reculé ; et nous on a tenu plus de quinze jours contre quatre divisions allemandes. (D. HERNÁNDEZ.)

– On est arrivés jusqu’à Dachau. Ce qu’on a découvert là-bas était horrible. On a continué jusqu’à Berchtesgaden, le nid d’aigle d’Hitler. On a dû affronter de nombreux membres des Jeunesses hitlériennes qui luttaient jusqu’à la mort. Il a fallu les tuer tous parce qu’aucun ne voulait se rendre. On a pu planter le drapeau français. C’est là qu’on a fini la guerre. Deux semaines après, on était de retour à Paris, convaincus que le moment était arrivé de libérer l’Espagne, et que la France et les alliés allaient nous aider.

Ça ne s’est pas passé ainsi… (D. HERNÁNDEZ.)