Albert Meltzer
jeudi 28 août 2008, par
Albert Meltzer (Londres, 7-I-1920 / 7-V-1996)
Albert Meltzer était l’un des représentants le plus constant et le plus respecté du mouvement international anarchiste de la seconde moitié du XX siècle. Ses soixante ans de dévouement à la vision et à la pratique anarchistes résistèrent à la fois à l’Écoulement de la révolution et de la guerre civile en Espagne et à la seconde guerre mondiale. Il impulsa les élans libertaires des années 1960 et 1970 et les orienta au milieu du thatchérisme des années 80 et de l’après guerre froide des années 1990.
Heureusement, avant sa mort, Albert avait réussi à finir son autobiographie I couldn’t paint Golden Angels (je n’ai pas pu peindre des anges dorés) un récit virulent, mais sans ressentiment, du type le brave soldat Sweik, d’un ennemi acharné de ce siècle de la malhonnête et de l’injustice. Tout au long de sa vie de syndicaliste actif, il combattit les chemises noires de Mosley dans la bataille de Cable Street ; il joua un rôle important pour épauler les communes et les milices anarchistes durant la Révolution espagnole et la résistance antinazi avant guerre ; Il fut à la base de la mutinerie du Caire pendant la seconde guerre mondiale ; il participa à la reconstruction de la résistance anti-franquiste de l’après guerre en Espagne et dans le mouvement anarchiste international. Ses activités englobent aussi Cuddon’s Cosmopolitan Review, une revue satyrique épisodique d’abord publié en 1965 et nommé par la suite Ambrose Cuddon. Ce fut sans doute la première publication consciemment anarchiste, dans le sens moderne. Il fut un des fondateurs d’Anarchist Black Cross (la Croix Noir Anarchiste), un groupe influent pour aider les prisonniers ainsi que la revue issue de cette initiative, Black Flag.
Cependant, le legs le plus durable d’Albert est la Kate Sharpley Library, sans aucun doute les archives anarchistes les plus étendues de Grande Bretagne.
Né en 1920 d’un mariage mixte dans la partie de Londres décrite par Orwell dans Down and Out, où il y avait peu de maisons pour les héros, mais beaucoup de héros pour en trouver une. Albert fut vite attiré par le militantisme politique en tant que dénonciateur de magouilles. Sa décision de suivre la voie de la politique révolutionnaire, dit-il, en 1935 à l’âge de 15 ans, fut la conséquence directe de ses cours de boxe. La boxe était considérée comme un sport "vulgaire", mal vu par l’administration de son école, Edmonton, et la parlementaire connue du parti travailliste de sa circonscription, la docteur Edith Summerskill, adversaire véhémente de la boxe. C’est peut-être le jeu de jambe qu’il acquit jeune qui lui donna la possibilité de supporter sa vie durant sa corpulence considérable. Cela lui permit de se juger astucieusement et d’évaluer la force et la faiblesse de ses adversaires respectifs.
L’écolier, formé par la rue, pugiliste, mais scolaire assista à sa première réunion anarchiste en 1935 où il attira l’attention en portant la contradiction à l’oratrice Emma Gildman, en défendant la boxe. Il se fit bientôt des amis parmi les militants anarchistes âgés de la génération précédente. Il devint un participant régulier et dynamique des réunions publiques.
La résistance anarchiste contre le soulèvement de Franco en Espagne en 1936 donna un fort élan au mouvement en Grande Bretagne. Les activités d’Albert allaient des appels à la solidarité, à l’édition de la propagande, et au travail avec le capitaine JR White pour organiser des envois illégaux d’armes, de Hambourg à la CNT en Espagne, en servant de contact avec les services de renseignements anarchistes espagnols en Grande Bretagne.
Au début de sa carrière professionnelle, Albert fut promoteur de théâtre en plein air, acteur de théâtre et figurant occasionnel au cinéma. Albert apparaît brièvement dans le film Pimpernel Smith de Leslie Howard, un film antinazi, qui ne suivait pas le schéma de la guerre mais plutôt celui de la révolution en Europe. L’histoire évoquait des prisonniers communistes, mais au moment où Howard travaillait, en 1940, Staline avait envahi la Finlande. Le scénario fut changé et les prisonniers devinrent des anarchistes. Howard remarqua qu’aucun des acteurs jouant le rôle des anarchistes ne faisaient réels et il décida que de vrais anarchistes, y compris Albert, joueraient dans les scènes de camps de concentration ;
Une conséquence de cette décision fut la rencontre d’Howard avec Hilda Monte, une héroïne importante mais méconnue de la résistance anarchiste allemande contre Hitler, qui aurait dû participé au film, mais elle mourut en se rendant à Lisbonne.
Les années suivantes, Albert fut vendeur de livres d’occasion et, finalement, livreur de manuscrits dans Fleet Street. Son dernier employeur était, assez curieusement, au Daily Telegraph.
Tout en étant par nature remarquablement gentil, généreux et aimable, la défense d’Albert de l’anarchisme en tant que mouvement de classe ouvrière révolutionnaire, l’amena à affronter directement les néo libéraux, qui dominaient le syndicalisme à la fin des années 1940. Tout comme des gens étaient attirés par des mouvements totalitaires comme le fascisme et le communisme à cause de leur violence implicite et leur certitudes idéologiques, de nombreuses autres personnes, politiquement incompatibles, allaient à l’anarchisme à cause de sa tolérance militante. Albert était véhémentement opposé à une refonte et à une présentation de l’anarchisme en tant que large église universitaire orientée vers des groupes de pression uniquement pacifistes. C’est, ironie du sort, d’un de ces groupes, que George Woodcok, universitaire par la suite, venait lorsqu’il annonça publiquement qu’il rejetait l’anarchisme parce que c’était une force historique dépassée, en 1962. Il était heureusement inconscient de l’orage de l’après Butskell qui allait éclater et de l’influence qu’auraient les idées anarchistes et libertaires sur les générations à venir.
C’est la défense de l’anarchisme et de la lutte de classe, accompagnée de son scepticisme vis à vis de la Nouvelle Gauche Étudiante des années 1960 qui valut à Albert sa réputation de sectarisme. Paradoxalement, comme l’ami et le caricaturiste de Black Flag Phil Ruff l’a souligné dans son introduction à l’autobiographie d’Albert, c’était la découverte de l’anarchisme et de la lutte de classe, par la voie du "sectarisme" de Black Flag sous la direction d’Albert, qui amena tellement d’anarchistes de sa génération et de celles qui ont suivi, à devenir des militants actifs. La dynamique et la logique du prétendu sectarisme d’Albert continuèrent à former un nombre incalculable de jeunes dans le mouvement anarchiste alors et durant trente ans jusqu’à la crise qui le frappa en avril 1996.
Il est difficile de donner un jugement public sur un personnage si secret, Albert Meltzer semblait souvent être un membre d’une équipe de combattants. On ne savait jamais s’il était un simplement acteur ou s’il était le cerveau de toute l’opération. Pour Albert, tous les privilèges étaient les ennemis de la liberté humaine. Et pas seulement les privilèges des capitalistes, des rois, des bureaucrates et des politiciens, mais aussi les aspirations mesquines des opportunistes et des carriéristes parmi les rebelles eux-mêmes. Beaucoup de ce qu’il a contribué à créer dans la vie de ceux qui le connaissaient va être oublié, mais ceux qu’il a fréquentés se souviendront de lui tendrement des années durant.
Stuart Christie (trad. de F. Mintz)